À l’occasion du 10e anniversaire de l’Institut Chuzhen, (centre de formation en médecine traditionnelle chinoise à Paris), le professeur Hao Wanshan, vice-président et responsable pédagogique de l’Institut Guangming de Médecine Chinoise, chef du département de clinique fondamentale à l’Université de médecine chinoise de Pékin, après plus de vingt séjours pédagogiques en France, témoignait en expert sur ces Français qui se sont lancés dans l’étude et la pratique de la médecine chinoise… 10 ans après la rédaction de ce texte le professeur Hao Wanshan est toujours un fidèle soutien de l’Institut.
La médecine chinoise, une médecine pour tous !
Un ami chinois m’avait mis en garde : il me rappelait que la médecine chinoise était née en Chine en des temps fort anciens et dans un contexte culturel traditionnel particulier dont elle était lourdement imprégnée, et il lui semblait difficile que des Français ou d’autres occidentaux puissent s’en emparer. Pour lui, les différences de culture et de mentalité entre l’Orient et l’Occident semblaient interdire à nos amis français l’accès à la compréhension, l’étude et la pratique de la médecine chinoise.
Un ami français, électronicien de son état, ayant appris que j’allais enseigner la médecine chinoise en France avait tenu lui aussi à me mettre en garde : les Français sont têtus et il leur est très difficile de recevoir de nouvelles connaissances. Pour tout ce que vous leur direz, ils voudront connaître le pourquoi et le comment, et ils n’accepteront votre enseignement que s’il est appuyé de preuves visibles et concrètes.
De nos jours, il est vrai que même parmi les Chinois, imprégnés d’éducation scientifique et technologique moderne depuis l’enfance, peu peuvent appréhender totalement l’âme de la médecine chinoise.
Une étudiante de Chuzhen, Marie-Thérèse, pour se donner les moyens de comprendre profondément la médecine chinoise, avait décidé de se rendre en Chine afin d’apprendre la langue chinoise. Un jour, elle a montré à son professeur de chinois un de ses ouvrages de médecine chinoise. Le professeur lui a dit : « Je connais et je sais lire tous les mots de cet ouvrage, mais je suis incapable de saisir le sens de ce qui est écrit. » Marie-Thérèse lui a répondu : « La plupart des mots de ce livre je ne les comprends pas et je ne peux en lire qu’un petit nombre. Pourtant je comprends tout ce qui est consigné ici ! » Cela montre que même parmi les Chinois ayant été formé aux sciences modernes, il existe des personnes qui ne connaissent pas les principes de la médecine chinoise.
Cependant, je suis toujours plein de confiance
D’abord j’ai remarqué que parmi les amis de Chuzhen, beaucoup n’apprennent pas la médecine chinoise pour en vivre mais pour satisfaire une soif de connaissance. Ils expriment un fort intérêt pour un autre mode de réflexion et pour la culture chinoise. Je considère que c’est un retour vers une méthode de réflexion traditionnelle. C’est l’une des raisons qui renforcent ma confiance.
L’autre raison vient de la connaissance que j’ai de la médecine chinoise.
Puisque la nature a produit l’être humain et des formes de vie aussi variées, elle a également nécessairement produit toutes les conditions pour en assurer la survie : soleil, air, nourriture et boissons. Mais elle fournit aussi des plantes, des animaux et des minéraux naturels qui permettent de pallier les dysfonctionnements de la santé humaine, ce sont les médicaments de la médecine chinoise. Grâce à ces derniers les êtres humains peuvent vivre, se reproduire et rester en pleine santé sur notre planète.
La médecine chinoise est issue des études et des recherches en physiologie et pathologie menées par nos ancêtres sur eux-mêmes. Ils ont observé les relations entre l’homme et la nature et ont découvert peu à peu comment bénéficier de toute cette grâce naturelle. Cette discipline s’est constamment enrichie et systématisée grâce à la pratique de générations successives de médecins. Cette connaissance, qui apparaît naturellement dans le processus de l’adaptation de l’homme à la nature, est une véritable médecine naturelle. Cette médecine chinoise fait partie du patrimoine culturel mondial.
Si l’antique époque chinoise a pu produire une telle doctrine et une telle méthode de réflexion naturaliste, alors tous les peuples et tous les pays du monde ont pu faire de même dans l’ancien temps. Mais en Chine, ces anciennes connaissances furent consignées par écrit et régulièrement améliorées. Pour moi, la médecine chinoise peut être comprise dans tous les pays du monde.
Après 10 ans de pratique pédagogique en France, les faits m’ont prouvé que les amis français et d’autres pays occidentaux peuvent non seulement accepter la médecine chinoise mais aussi faire de très bonnes études : ils peuvent même parfois devenir plus chinois que les médecins chinois de Chine !
Certains petits faits m’ont beaucoup inspiré.
Au tout début, je craignais que les élèves français ne comprennent par certaines explications théoriques. J’ai donc introduit quelques notions de médecine moderne pour appuyer mes explications, mais au bout d’un certain temps les élèves m’ont dit : « Nous sommes venus à Chuzhen pour apprendre la médecine chinoise et non pour entendre parler de connaissances concernant la médecine occidentale. Il suffit que vous nous disiez comment la médecine chinoise considère tel ou tel aspect des choses. »
J’ai eu parfois l’occasion de consulter des malades avec des élèves de Chuzhen, et j’ai souvent trouvé que leurs réflexions concernant le diagnostic et la différentiation des syndromes étaient extrêmement pertinentes, voire plus cohérentes que celles de certains praticiens en Chine. Ceci m’a beaucoup ému.
Un étudiant m’a dit : « La médecine occidentale moderne s’est développée sous la tutelle de la science moderne, elle n’est qu’une application de nouvelles découvertes, de nouvelles technologies et de nouveaux matériaux à la santé. En réalité, elle n’est qu’une branche de la science moderne. La médecine chinoise quant à elle, grâce à son système indépendant, est une vraie médecine. » Cette compréhension est rare, même en Chine.
Ce qui m’a encore plus touché c’est ce que m’a dit un spécialiste de médecine occidentale à la fin d’un cours : « Après avoir écouté votre cours, j’ai eu la sensation de me réveiller d’une anesthésie. J’ai soudain compris qu’il existe aussi dans le monde une telle discipline qui étudie la santé humaine. »
Tout ces faits ont renforcé mon désir de continuer à enseigner en France et m’ont montré que les élèves de Chuzhen parviennent non seulement à accepter la médecine chinoise mais peuvent aussi l’apprendre correctement.
Je me souviens de deux des artisans de cette coopération exemplaire.
Quand je me remémore le développement fluide de la collaboration entre Guangming et Chuzhen, deux personnes qui ont contribué de manière éminente à ce rapprochement me viennent à l’esprit : ce sont le professeur Bai Yongpo, directeur de l’Université Guangming de médecine chinoise, et François Marquer, président de l’Institut Chuzhen de Médecine Chinoise. Le professeur Bai Yongpo possède une vaste et profonde maîtrise du domaine académique de la médecine chinoise : il a également étudié la pédagogie propre à cette discipline, les règles à mettre en œuvre pour arriver à former de bons médecins, et son avis sur ces questions est remarquable de créativité. C’est un grand médecin et un enseignant de médecine chinoise vraiment réputé en Chine. Il a énoncé deux principes qui sont devenus des règles de conduite dans les relations entre Chuzhen et Guangming : « Les connaissances et les techniques de la médecine chinoise doivent être apportées sans conditions aux amis de Chuzhen » et « La médecine chinoise doit être transmise sans altérations aux amis de Chuzhen. »
Quant au président François Marquer, selon les critères des Chinois, il peut être quasiment considéré comme un homme rare capable de (presque) tout faire : la médecine chinoise, l’acupuncture, les affaires, l’écriture, la traduction, la diplomatie, la maîtrise de la conduite automobile, la menuiserie, l’art, l’art d’être père… Il excelle en tout, il est chaleureux et sincère dans ses relations avec les gens, sa conduite est toujours claire et droite.
François Marquer
Si, depuis 10 ans, j’ai plusieurs fois mis entre parenthèses la collaboration avec d’autres pays pour me consacrer aux relations pédagogiques entre Guangming et Chuzhen, c’est sûrement en étroit rapport avec les personnalités et les charmes de ces deux dirigeants. Bien sûr tous les membres du Conseil d’Administration de l’Institut Chuzhen ont profondément touché chacun des enseignants chinois par leur sincérité, leur enthousiasme au travail et leur foi sans faille en la médecine chinoise. C’est pourquoi chaque professeur de Guangming, en arrivant en France pour enseigner à Chuzhen, a un peu l’impression de rentrer à la maison.
Développement et innovation en médecine chinoise : rétrospective et prospective
La médecine chinoise ne s’appuie pas sur la science moderne mais emploie sa propre méthode de réflexion pour se développer et innover. Il y a plus de mille ans, durant les dynasties Jin et Yuan, les quatre grandes écoles de médecine chinoise, à partir des théories fondamentales, ont permis de développer les théories de la médecine chinoise et en ont assuré un grand essor. Il y a deux ou trois siècles, en s’adaptant à une nouvelle gamme de maladies, les médecins des dynasties Ming et Qing ont créé la théorie des maladies de tiédeur. Ce faisant, ils ont enrichi et amélioré les méthodes thérapeutiques cliniques en médecine chinoise. En Corée, en combinant les connaissances issues de l’antique médecine coréenne et les théories fondamentales de la médecine chinoise, les médecins ont établi une médecine aux particularités coréennes, c’est la médecine coréenne.La France et beaucoup de pays occidentaux ont hérité d’anciennes connaissances médicales semblables à celles de la médecine chinoise. Je suis persuadé que les amis français pourraient combiner la médecine chinoise avec les connaissances de la médecine traditionnelle française, tout en tenant compte de l’évolution du champ des pathologies contemporaines dans ce pays et de la constitution de leurs concitoyens ; si, de plus, ils utilisaient la pensée et la recherche propres à la médecine chinoise, ils pourraient créer et développer une médecine qui posséderait des particularités françaises. On l’appellerait la médecine française (fa yi xue) (jeu de mots intraduisible, fa yi xue signifiant « médecine légale », la France étant en chinois appelée fa guo). Et peut-être que dans quelques dizaines d’années, les Chinois enverront leurs descendants en France afin qu’ils étudient cette médecine française et qu’ils passent des doctorats. À ce moment, il sera rappelé dans l’histoire de cette « médecine légale » que ses fondateurs avaient participé à la création de Chuzhen ou qu’ils y avaient été étudiants.
Au moment du 10ème anniversaire de la fondation de l’Institut Chuzhen de Médecine Chinoise, je présente tous mes vœux de prospérité à Chuzhen et espère que notre coopération sera à l’avenir toujours plus étroite et radieuse.
Professeur Hao Wanshan